DEUXIÈME SECTION

 

 

AFFAIRE OPREA ET AUTRES c. ROUMANIE

(Requête n° 33358/96)

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

STRASBOURG

16 juillet 2002

 

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Oprea et autres c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
Mme A. Mularoni, juges,
et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juillet 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 33358/96) dirigée contre la Roumanie et dont quatre ressortissants de cet Etat, Alexandru Oprea, Dumitru Oprea, Miradora Baroga et Elena Racoveanu (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 3 juin 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A la suite du décès, le 12 décembre 1999, de M. Dumitru Oprea, ses héritiers, à savoir Olga Oprea et Adrian-Vasile Oprea, ont exprimé, par lettre du 20 mars 2002, le souhait de continuer l'instance. Par la même lettre, le même souhait a été exprimé par Anca Popescu, l'héritière de Minodora Baroga, à la suite du décès de celle-ci le 20 novembre 1999.

2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme C.I. Tarcea.

3.  Les requérants alléguaient en particulier que le refus de la Cour suprême de justice le 21 décembre 1995 de reconnaître aux tribunaux la compétence de trancher une action en revendication est contraire à l'article 6 § 1 de la Convention. En outre, les requérants se plaignent que cet arrêt de la Cour suprême a eu pour effet de porter atteinte à leur droit au respect de leurs biens, tel que reconnu par l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6.  Par une décision du 10 octobre 2000, la chambre a déclaré la requête recevable.

7.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

8.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement de la Cour). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

9.  Les requérants, ressortissants roumains sont nés respectivement en 1930, 1932, 1934 et 1941. À l'exception du troisième requérant qui réside à Galati, les requérants résident à Bucarest.

10.  A une date non précisée, les parents des requérants achetèrent un bien immobilier composé de constructions et d'un terrain, sis à Bucarest.

11.  En 1950, l'État prit possession de cette propriété, en invoquant le décret de nationalisation n° 92/1950. Ni les motifs ni la base légale de cette expropriation ne furent jamais notifiés aux parents des requérants.

A.  L'action en revendication de propriété

12.  En 1993, en tant qu'héritiers, les requérants saisirent le tribunal de première instance du deuxième arrondissement de Bucarest d'une action en revendication immobilière. Les requérants firent valoir qu'en vertu du décret n° 92/50, les biens des salariés ne pouvaient être nationalisés et que leurs parents étaient ouvriers au moment de la nationalisation de leur maison.

13.  Par jugement du 11 octobre 1994, le tribunal de première instance du deuxième arrondissement de Bucarest releva que c'était par erreur que la propriété des parents des requérants avait été nationalisée en application du décret n° 92/1950, car ils faisaient partie d'une catégorie de personnes que ce décret excluait de la nationalisation. Le tribunal ordonna dès lors aux autorités administratives, à savoir le conseil local municipal de Bucarest et l'entreprise d'État « Apolodor SA », gérante de logements d'État, de restituer la propriété aux requérants.

14.  En l'absence de recours, le jugement devint définitif et irrévocable, ne pouvant plus être attaqué par la voie du recours ordinaire.

15.  Le 24 mars 1995, le maire de la ville de Bucarest, ordonna la restitution de l'immeuble aux requérants. A partir du mois de mai 1995, les requérants commencèrent à acquitter les taxes foncières afférentes à l'immeuble.

16.  A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma un recours extraordinaire devant la Cour suprême de justice à l'encontre du jugement définitif du 11 octobre 1994, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l'application du décret n° 92/1950.

17.  Par arrêt du 21 décembre 1995, la Cour suprême de justice annula le jugement et rejeta l'action des requérants. Elle souligna que la loi était un moyen d'acquisition de la propriété, constata que l'État s'était approprié la propriété en question le jour même de l'entrée en vigueur du décret de nationalisation n° 92/1950 et rappela que l'application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les instances judiciaires. Par conséquent, la Cour suprême de justice estima que le tribunal de première instance de Bucarest n'avait pu rendre son jugement constatant que les requérants étaient les véritables propriétaires qu'en modifiant le décret susmentionné et, dès lors, en outrepassant ses attributions et en empiétant sur celles du pouvoir législatif. La Cour suprême de justice conclut que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l'État s'était approprié abusivement.

18.  Le maire de la ville de Bucarest ordonna le 12 juin 1996 la restitution de la propriété en faveur de l'État.

B.  La procédure en restitution prévue par la loi n° 112/1995

19.  Selon les informations données par les requérants, à une date non précisée, ils demandèrent la restitution en nature du bien auprès de la commission administrative pour l'application de la loi n° 112/1995 (ci-après « la commission administrative »).  La commission ne répondit pas à cette demande des requérants.

20.  Le 8 juin 1996, les requérants notifièrent ladite commission, afin que celle-ci ne vende pas la maison aux locataires, au motif que leur requête soumise à la Cour européenne des Droits de l'Homme avait été déclarée recevable. Cette notification fut envoyée par la mairie au gérant des logements d'état « Apolodor SA ».

21.  Les requérants font valoir que malgré leur notification du 8 juin 1996, l'État vendit leur propriété aux locataires.

 

C.  La procédure en évaluation de l'immeuble

22.  Le 24 janvier 2001, le ministère des finances fit une demande devant le tribunal départemental de Bucarest pour l'évaluation de l'immeuble en cause.

23.  Une expertise fut effectuée et, par procès verbal d'audience du 15 mars 2001, le tribunal décida l'homologation du rapport d'expertise.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

24.  Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l'arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], n° 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-44).

EN DROIT

I.  OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

25.  La Cour note que M. Dumitru Oprea est décédé le 12 décembre 1999, mais que ses héritiers ont exprimé, par lettre du 20 mars 2002, le souhait de reprendre l'instance. A la suite du décès de Mme Minodora Baroga, le 20 novembre 1999, son héritière a exprimé le même souhait.

26.  La Cour estime, eu égard à l'objet de la présente affaire et à l'ensemble des éléments qui sont en sa possession, que les héritiers de ces requérants peuvent prétendre avoir un intérêt suffisant pour justifier de la poursuite de l'examen de la requête et leur reconnaît dès lors la qualité pour se substituer désormais à eux en l'espèce (voir notamment les arrêts Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 29, § 2, G. c. Italie du 27 février 1992, série A n° 228-F, p. 65, § 2, et Pandolfelli et Palumbo c. Italie du 27 février 1992, série A n° 231-B, p. 16, § 2 ).

II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

27.  D'après les requérants, l'arrêt du 21 décembre 1995 de la Cour suprême de justice a enfreint l'article 6 § 1 de la Convention, qui dispose dans ses parties pertinentes ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

28.  Dans leur mémoire, les requérants font valoir que le refus de la Cour suprême de justice de reconnaître aux tribunaux la compétence pour trancher une action en revendication est contraire au droit à un tribunal garanti par l'article 21 de la Constitution roumaine et par l'article 3 du Code civil roumain, qui régit le déni de justice. En outre, ils font valoir que l'affirmation de la Cour suprême de justice, selon laquelle les requérants n'étaient pas propriétaires du bien en litige, est en contradiction avec le motif invoqué par cette cour pour accueillir le recours en annulation, à savoir l'absence de compétence des juridictions pour trancher le fond du litige. Ils ajoutent aussi que le fait que l'arrêt de la Cour suprême de justice ait annulé une décision définitive est contraire au principe de la sécurité des rapports juridiques.

29.  Le Gouvernement admet que les requérants se sont vu opposer un refus d'accès à un tribunal, mais estime que ce refus a été temporaire et que, de toute manière, il était justifié pour assurer le respect des normes de procédure et le principe de la séparation des pouvoirs. De plus, le Gouvernement estime que « les ingérences peuvent passer pour proportionnelles au but poursuivi ».

30.  La Cour doit donc rechercher si l'arrêt du 21 décembre 1995 a enfreint l'article 6 § 1 de la Convention.

31.  La Cour rappelle que dans l'affaire Brumărescu c. Roumanie précitée (§§ 61-62), elle a conclu à la violation de l'article 6 § 1 au motif que l'annulation d'un arrêt définitif était contraire au principe de la sécurité juridique. Elle a également conclu que le refus de la Cour suprême de justice de reconnaître aux tribunaux la compétence pour examiner des litiges portant comme dans la présente affaire, sur une revendication immobilière, enfreignait l'article 6 § 1 de la Convention.

32.  La Cour estime que rien en l'espèce ne permet de distinguer de ce point de vue la présente affaire de l'affaire Brumărescu. Dès lors, la Cour estime qu'en appliquant de la sorte les dispositions de l'article 330 du Code de procédure civile régissant le recours en annulation, la Cour suprême de justice a méconnu par sa décision du 21 décembre 1995 le principe de la sécurité des rapports juridiques et, par là, le droit des requérants à un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

33.  De surcroît, l'exclusion par la Cour suprême de justice de l'action en revendication des requérants de la compétence des tribunaux est en soi contraire au droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 § 1 de la Convention (loc. cit. § 65).

34.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 sur ces deux points.

 

 

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N° 1

35.  Les requérants se plaignent que l'arrêt du 21 décembre 1995 de la Cour suprême de justice a eu pour effet de porter atteinte à leur droit au respect de leurs biens, tel que reconnu à l'article 1 du Protocole n° 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

36.  Ils estiment que l'arrêt de la Cour suprême de justice, jugeant que leur propriété appartenait à l'État et annulant le jugement définitif du 11 octobre 1994, a constitué une privation de leur droit au respect de leurs biens, privation qui ne poursuivait pas un but d'utilité publique. Ils font observer qu'en application de la loi n° 112 du 23 novembre 1995, l'État a vendu à des tiers leur propriété.

37.  Ils ajoutent que la commission administrative n'a même répondu à leur demande de restitution en vertu de la loi n° 112/1995 (voir paragraphe 19 ci-dessus).

D'ailleurs ils considèrent que les nouveaux changements législatifs en la matière ne leur permettent pas de récupérer leur immeuble, compte tenu de sa vente à des tiers par l'État.

38.  Le Gouvernement roumain ne conteste pas qu'en l'espèce il y a une atteinte « à la substance même du droit de propriété, mais cette atteinte est une ingérence atypique dans leur droit, elle ne pouvant être qualifiée ni de privation de propriété, ni de réglementation de l'usage des biens ». Pour ces motifs, le Gouvernement roumain est d'avis que l'arrêt de la Cour suprême de justice devra être analysé par rapport à la norme de caractère général. Il fait valoir que l'arrêt de la Cour suprême de justice visait la réalisation d'un but légitime et que l'ingérence ne peut passer pour disproportionnée par rapport à la jurisprudence des organes de la Convention.

Il ajoute qu'à la suite de la demande des requérants concernant la restitution en nature de l'immeuble, la commission administrative pour l'application de la loi n° 112/1995 leur avait proposé l'octroi d'un dédommagement, mais qu'ils n'ont accepté que la restitution en nature.

A titre d'information le Gouvernement ajoute qu'à la suite de l'adoption de la loi n° 10/2001, il est loisible aux requérants d'introduire une nouvelle action en revendication.

39.  La Cour observe que le Gouvernement n'a fourni aucun document qui puisse prouver la proposition de la commission administrative pour un éventuel octroi d'un dédommagement en vertu de la loi n° 112/1995. De plus, les requérants soutiennent n'avoir jamais reçu d'indemnité en vertu de ladite loi.

40.  La Cour rappelle que le droit de propriété des requérants sur l'immeuble en litige a été établi par un arrêt définitif du 11 octobre 1994 et relève que le droit ainsi reconnu n'était pas révocable. D'ailleurs, les requérants ont pu jouir de leur bien en toute tranquillité, en tant que propriétaires légitimes, du 24 mars 1995 jusqu'au 21 décembre 1995. Ils se sont également acquittés des taxes et des impôts immobiliers afférents à leur bien.

Les requérants avaient donc un bien au sens de l'article 1 du Protocole n° 1 (voir arrêt Brumărescu c. Roumanie précité, § 70).

41.  La Cour relève ensuite que l'arrêt de la Cour suprême de justice a annulé le jugement définitif du 11 octobre 1994 et a jugé que le propriétaire légitime du bien était l'État. Elle considère que cette situation est sinon identique, du moins analogue à celle du requérant dans l'affaire Brumărescu. La Cour estime donc que l'arrêt de la Cour suprême de justice a eu pour effet de priver les requérants de leur bien au sens de la seconde phrase du premier paragraphe de l'article 1 du Protocole n° 1 ( loc. cit. §§ 73-74). En outre, elle relève que les requérants se trouvent privés de leur propriété depuis maintenant plus de six ans sans avoir perçu d'indemnité reflétant la valeur réelle de celui-ci.

42.  Dans ces conditions, à supposer même que l'on puisse démontrer que la privation de propriété ait servi une cause d'intérêt public, la Cour estime que le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu a été rompu et que les requérants ont supporté et continuent de supporter une charge spéciale et exorbitante.

43.  Partant, il y a eu et il continue d'y avoir violation de l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

 

A.  Dommage matériel

45.  A titre principal, les requérants sollicitent la restitution du bien litigieux. Ils entendent recevoir, en cas de non-restitution, une somme correspondant à la valeur actuelle de leur propriété, à savoir, selon leur estimation, 100 000 dollars américains (« USD »), soit 107 250 euros (« EUR »).

46.  Le Gouvernement soutient en premier lieu que l'octroi d'une somme au titre du dommage matériel serait injuste, puisque les requérants peuvent toujours revendiquer, avec succès, leur droit à la propriété du bien devant les juridictions internes. En tout cas, le Gouvernement estime que le montant maximum qui pourrait être octroyé est de 84 600 USD soit 90 734 EUR, représentant, selon le rapport d'expertise qu'il a produit devant la Cour, la valeur marchande du bien en litige.

47.  Dans leurs observations complémentaires sur l'article 41 de la Convention, les requérants se sont déclarés d'accord avec les résultats de l'expertise homologuée par le tribunal départemental de Bucarest et produite par le Gouvernement devant la Cour.

48.  La Cour estime, dans les circonstances de l'espèce, que la restitution du bien litigieux, telle qu'ordonnée par le jugement définitif du tribunal de première instance du deuxième arrondissement de Bucarest du 11 octobre 1994, placerait les requérants, autant que possible, dans une situation équivalante à celle où ils se trouveraient si les exigences de l'article 1 du Protocole n° 1 n'avaient pas été méconnues.

49.  Les requérants ne s'étant pas vu restituer l'immeuble, l'État doit donc rétablir le droit de propriété des requérants sur cet immeuble et son terrain, objets de la requête.

50.  A défaut pour l'État défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du prononcé du présent arrêt, la Cour décide qu'il devra verser aux requérants, pour dommage matériel, la valeur actuelle du bien.

51.  Quant à la détermination du montant de cette indemnité, la Cour note que la seule expertise du bien est celle soumise par le Gouvernement, avec les conclusions de laquelle les requérants se sont déclarés d'accord. Pour cette raison, la Cour entérine lesdites conclusions, à savoir un montant de 90 734 EUR pour la valeur actuelle du bien.

Le montant des indemnités que le Gouvernement devrait payer aux requérants s'élèverait ainsi à 90 734 EUR. Ce montant est à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement.

 

 

B.  Dommage moral

52.  Les requérants sollicitent 15 000 USD, soit 16 087 EUR, pour le préjudice moral subi du fait de la souffrance causée par la méconnaissance des droits de l'Homme que leur aurait infligée la Cour suprême de justice en 1995, en les privant de leur bien une deuxième fois, après qu'ils eurent réussi, en 1994, à mettre un terme à la violation de leur droit par les autorités communistes pendant quarante ans.

53.  Le Gouvernement s'élève contre cette prétention, en estimant qu'aucun préjudice moral ne saurait être retenu. De surcroît, le Gouvernement soutient qu'il serait contraire à la jurisprudence de la Cour d'accorder une indemnité au titre du dommage moral pour des souffrances subies par les requérants avant la ratification de la Convention par la Roumanie.

54.  La Cour considère que les événements en cause ont entraîné des ingérences graves dans les droits des requérants au respect de leur bien, à un tribunal et à un procès équitable, pour lesquelles la somme de 7 000 EUR représenterait une réparation équitable du préjudice moral subi.

C.  Frais et dépens

55.  Les requérants sollicitent le remboursement des frais et dépens, n'en présentant aucun décompte détaillé, motivant cette omission par l'impossibilité d'obtenir les justificatifs.

56.  Compte tenu de ce que les requérants n'ont ni quantifié ni justifié les frais et les dépens demandés, la Cour décide de n'allouer aux requérants aucune somme à ce titre.

D.  Intérêts moratoires

57.  Les sommes accordées étant libellées en euros, la Cour juge approprié de fixer le taux d'intérêt moratoire de 7,25 % l'an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de l'absence d'un procès équitable ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait du refus du droit d'accès à un tribunal ;

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention ;

4.  Dit que l'État défendeur doit restituer aux requérants leur immeuble, dans les trois mois à compter du jour ou l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;

5. Dit qu'à défaut d'une telle restitution, l'État défendeur doit verser aux requérants, dans le même délai de trois mois, les sommes suivantes :

a)  90 734 EUR (quatre-vingt-dix mille sept cent trente-quatre euros) pour dommage matériel ;

b)  7 000 EUR (sept mille euros) pour dommage moral ;

6. Dit que les montants indiqués sous 5) a) et b) seront à majorer d'un intérêt simple de 7,25 % l'an à compter de l'expiration desdits délais et jusqu'au versement ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early J.-P. Costa
Greffier adjoint Président