PREMIÈRE SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE IGNACCOLO-ZENIDE c. ROUMANIE

 

(Requête n° 31679/96)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

25 janvier 2000

 

 

En l’affaire Ignaccolo-Zenide c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mme E. Palm, présidente,
MM. J. Casadevall,
Gaukur Jörundsson,
R. Türmen,
Mme W. Thomassen,
M. R. Maruste, juges,
Mme A. Diculescu-ªOVA, juge ad hoc,

et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 14 septembre 1999 et 11 janvier 2000,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») le 27 janvier 1999, dans le délai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouve une requête (no 31679/96) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante française, Mme Rita Ignaccolo-Zenide, avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 22 janvier 1996 en vertu de l’ancien article 25.

La requête du Gouvernement renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu’à la déclaration roumaine reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 8 de la Convention.

2.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l’article 5 § 4 dudit Protocole, combiné avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement de la Cour (« le règlement »), un collège de la Grande Chambre a décidé, le 31 mars 1999, que l’affaire serait examinée par une chambre constituée au sein de l’une des sections de la Cour.

 

3.  Conformément à l’article 52 § 1 du règlement, le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a ensuite attribué l’affaire à la première section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit M. C. Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement), et Mme E. Palm, présidente de la section (article 26 § 1 a) du règlement). Ont en outre été désignés par cette dernière pour compléter la chambre M. J. Casadevall, M. Gaukur Jörundsson, Mme W. Thomassen et M. Maruste (article 26 § 1 b) du règlement).

4.  Ultérieurement, M. Bîrsan, qui avait participé à l’examen de l’affaire par la Commission, s’est déporté (article 28 du règlement). En conséquence, le Gouvernement a désigné Mme Ana Diculescu-ªova pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

5.  Le représentant de la requérante a présenté son mémoire le 19 février 1999. Après avoir bénéficié d’une prorogation de délai, l’agent du Gouvernement a soumis le sien le 5 juillet.

6.  Le 28 mai 1999, conformément à l’article 61 § 3 du règlement, la présidente a autorisé les associations AIRE Centre et Reunite à soumettre conjointement des observations écrites sur certains aspects de l’affaire. Ces observations ont été reçues le 1er juillet 1999.

7.  Le 28 juillet 1999, le représentant de la requérante a déposé des observations complémentaires. Le 30 juillet 1999, en vertu de l’article 61 § 5 du règlement, le Gouvernement a formulé ses commentaires sur les observations des parties intervenantes.

8.  Ainsi qu’en avait décidé la chambre, une audience s’est déroulée en public le 14 septembre 1999, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.

 

Ont comparu :

pour le Gouvernement
MM. C.-L. Popescu, conseiller au ministère de la Justice, agent,
M. Selegean, ministère de la Justice,
T. Corlãþean, ministère des Affaires étrangères, conseillers ;

pour la requérante
Me J. Lagrange, avocat au barreau de Nancy, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Lagrange et M. Popescu.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9.  Le 7 mai 1980, la requérante épousa D.Z., ressortissant roumain. Le couple eut deux enfants, Maud et Adèle, nées en 1981 et en 1984 respectivement.

10.  Par un jugement du 20 décembre 1989, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc prononça le divorce des époux et homologua la convention conclue par eux pour régler les conséquences de celui-ci et aux termes de laquelle l'autorité parentale était confiée au père, la requérante se voyant accorder un droit de visite et d'hébergement.

11.  Dans le courant de l'année 1990, D.Z. s'installa aux Etats-Unis avec ses filles.

12.  Le 3 septembre 1990, la requérante porta plainte contre lui pour non-représentation d'enfant. Elle soutenait que, début septembre 1990, D.Z. n'avait pas respecté son droit de visite, dès lors que, sans l’en informer, il avait gardé les enfants aux Etats-Unis au-delà de la moitié des vacances scolaires.

13.  Le 4 septembre 1990, la requérante assigna D.Z. en référé devant le tribunal de grande instance de Metz, demandant à celui-ci de lui accorder l'autorité parentale et la résidence des enfants et d'interdire à D.Z. de les sortir du territoire français sans son consentement.

14.  Par une ordonnance de référé rendue le 11 septembre 1990, le juge aux affaires matrimoniales du tribunal de grande instance de Metz rejeta la demande.

15.  Saisie par la requérante, la cour d'appel de Metz infirma ladite ordonnance par un arrêt du 28 mai 1991. Elle confia l'autorité parentale aux deux parents, fixa la résidence des enfants chez la mère et accorda au père un droit de visite et d'hébergement.

16.  D.Z. ne se conforma pas à l'arrêt et ne présenta pas les enfants à leur mère.

17.  Saisi par D.Z., qui résidait depuis plus d’un an au Texas, le tribunal du comté de Harris de l’Etat du Texas annula l’arrêt de la cour d’appel de Metz par un jugement du 30 septembre 1991 et confia la garde des enfants au père. La requérante, qui n’était ni présente ni représentée devant ce tribunal, se vit accorder seulement un droit de visite. Après avoir recueilli l’avis d’un psychologue selon lequel les enfants n’avaient pas de souvenir précis de leur vie avec leur mère avant la dissolution du mariage et étaient ravies de vivre avec leur père et leur belle-mère, le tribunal avait considéré que les enfants étaient heureuses et s’étaient bien intégrées au Texas, où elles bénéficiaient d’une protection et d’une attention particulières de la part des autorités.

18.  En décembre 1991, D.Z. s’installa en Californie, avec ses deux enfants.

19.  Par une ordonnance du 24 février 1992, le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Metz renvoya D.Z. en jugement du chef de non-représentation d'enfant, infraction prévue par l'article 357 du code pénal français. La requérante se constitua partie civile.

20.  Le 18 septembre 1992, le tribunal de grande instance de Metz rendit un jugement par défaut condamnant D.Z. à une peine d'emprisonnement d'un an pour non-représentation d'enfants et décernant à son encontre un mandat d'arrêt.

21.  Le mandat ne put être exécuté, D.Z. ne se trouvant pas sur le territoire français.

22.  A une date non précisée, D.Z. saisit la Cour de cassation d’un pourvoi contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Metz le 28 mai 1991.

23.  Rappelant le pouvoir souverain des juges du fond en matière d’appréciation de la valeur et de la portée des preuves, la haute juridiction, par un arrêt du 25 novembre 1992, débouta l’intéressé et le condamna à une amende civile de dix mille francs.

24.  La requérante, qui avait engagé aux Etats-Unis une procédure en reconnaissance et en exécution de l'arrêt du 28 mai 1991, obtint, entre 1993 et 1994, cinq jugements des tribunaux californiens ordonnant à D.Z. de lui restituer les enfants. Ainsi notamment, le 10 août 1993, la Cour supérieure de l'Etat de Californie prononça l'exequatur de l'arrêt de la cour d'appel de Metz et enjoignit à D.Z. de rendre les enfants à leur mère.

25.  Dans un rapport du 17 août 1993, L.S., expert en psychologie de la famille agréé auprès des tribunaux californiens, indiqua, à la suite d’un entretien avec les filles, que celles-ci ne désiraient pas retourner vivre avec leur mère, mais étaient heureuses avec leur père et sa nouvelle épouse. Tandis que Maud ne paraissait pas éprouver de sentiments envers sa mère, Adèle indiqua à L.S. que sa mère était « laide et méchante » et qu’elle ne les aimait pas, mais désirait simplement les montrer aux autres et leur acheter des jouets.

26.  Par un arrêt du 1er février 1994, la cour d’appel de l’Etat de Californie jugea que le tribunal du comté de Harris de l’Etat du Texas n’était pas compétent pour réformer l’arrêt rendu par la cour d’appel de Metz le 28 mai 1991. Par un jugement du 29 avril 1994, la Cour supérieure de l'Etat de Californie confirma derechef l'arrêt de la cour d'appel de Metz en décidant que les enfants devaient résider avec la requérante et en jugeant illégale leur sortie de l'Etat de Californie sans autorisation expresse du tribunal.

27.  Les décisions californiennes ne furent pas appliquées par D.Z., qui, en mars 1994, quitta le territoire américain et se rendit en Roumanie avec ses enfants.

28.  En juillet 1994, invoquant la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (ci-après « la Convention de La Haye ») la requérante saisit le ministère de la Justice français, Autorité centrale française au sens dudit instrument, d'une requête en vue du retour des enfants.

29.  En novembre 1994, l'Autorité centrale des Etats-Unis demanda au ministère de la Justice roumain, Autorité centrale de la Roumanie, le retour des enfants en application des articles 3 et 5 de la Convention de La Haye.

30.  En décembre 1994, l'Autorité centrale française demanda à l'Autorité centrale roumaine le retour des enfants en application des articles 3 et 5 de la Convention de La Haye.

31.  Invoquant l’article 2 de la Convention de La Haye, la requérante déposa le 8 décembre 1994 devant le tribunal de première instance de Bucarest une demande en référé visant à obliger D.Z. à exécuter les décisions judiciaires ayant fixé chez elle la résidence des enfants et ordonné leur restitution.

32.  Le tribunal prononça son jugement le 14 décembre 1994. Il releva d’abord que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Metz le 28 mai 1991 fixait la résidence des enfants chez la requérante et que les jugements intervenus en Californie ordonnaient la restitution des enfants. Il nota ensuite que D.Z. avait enlevé ceux-ci en violation des décisions précitées et qu’il avait été condamné à un an d'emprisonnement pour non-représentation d'enfant. Il jugea que la demande en référé de la requérante remplissait la condition d’urgence, car le droit de l’intéressée pouvait être affecté d’une manière irréparable en cas de retard. En outre, la mesure demandée revêtait un caractère conservatoire, qui ne préjugeait pas le fond mais visait à assurer le respect du droit de la requérante, que tout retard aurait mis en danger. Enfin, l'apparence d’un droit exigée pour l’admissibilité de toute demande en référé était clairement établie. Au fond, le tribunal jugea qu'étaient applicables en l'espèce les dispositions de la Convention de La Haye, intégrée au droit roumain par l'effet de la loi n° 100/1992 concernant l'adhésion de la Roumanie à cet instrument, et notamment son article 14, qui lui permettait de se fonder directement sur des décisions judiciaires rendues à l’étranger sans avoir recours à la procédure de l’exequatur. Par un jugement exécutoire sans sommation, il ordonna donc la restitution des enfants à la requérante.

33.  Ce jugement ne put être exécuté, D.Z. ayant caché les enfants.

34.  En décembre 1994, D.Z. retira les enfants de l'école et les emmena dans un lieu inconnu.

35.  D.Z. releva appel du jugement du 14 décembre 1994. Le 9 juin 1995, le tribunal départemental de Bucarest renvoya l'affaire au 30 juin 1995 et ordonna l'audition des mineures.

 

 

36.  Le 30 juin 1995, en l’absence du représentant du ministère de la Justice, partie intervenante, et du conseil municipal du deuxième arrondissement de la ville de Bucarest, chargé de contrôler et faire respecter les obligations des parents divorcés, le tribunal renvoya l’affaire. Il fit aussi droit à la demande de suspension de l'exécution de la sentence jusqu'à l’issue de l'appel que lui avait présentée D.Z. Cette décision ne fut pas motivée.

37.  Le 23 août 1995, le ministère de la Justice demanda à la mairie de Bucarest d’effectuer une enquête sociale au domicile de D.Z.

38.  A une date non précisée, le maire de Bucarest informa le ministère de la Justice qu’une enquête sociale avait été effectuée en septembre 1995 par le conseil municipal du deuxième arrondissement de la ville de Bucarest. Le maire dudit arrondissement présenta les conclusions de cette enquête, signées par lui, par le secrétaire de mairie et par un inspecteur. Elles étaient ainsi libellées :

« Les enfants Maud et Adèle (...) habitent avec leur père et son épouse dans une villa de 8 pièces, où chacune des filles a sa propre chambre.

Leur père s’occupe très bien d’elles, tant matériellement que moralement, en leur assurant les meilleures conditions d’éducation.

Il ressort des discussions menées en roumain – langue qu’elles maîtrisent – avec les filles qu’elles sont intelligentes, sociables, à l’aise, qu’elles mènent une vie normale, lisent, écrivent, et sont appliquées à l’école.

Entre les mineures, leur père et son épouse, il y a une atmosphère d’entente et d’amitié et beaucoup d’affection.

Elles ne désirent pas aller habiter en France avec leur mère, dont elles se souviennent comme d’une personne froide et indifférente. Elles disent qu’elles ont toujours trouvé auprès de leur père compréhension, chaleur et affection.

Elles sont très impressionnées par la Roumanie et par les Roumains, parmi lesquels elles se sont fait beaucoup d’amis. Pendant les vacances, elles sont allées en province et s’y sont senties merveilleusement bien.

Invitées à dire si elles désirent voir leur mère où aller habiter chez elle, elles ont répondu « non » d’une manière catégorique et ont insisté pour que toute décision devant être prise les concernant tienne compte de leurs désirs.

En conclusion, il nous paraît que les mineures Maud et Adèle bénéficient en Roumanie des meilleures conditions d’éducation. »

39.  Par une décision du 1er septembre 1995, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l'appel de D.Z. contre le jugement du 14 décembre 1994.

40.  D.Z. se pourvut devant la cour d’appel de Bucarest, qui, par un arrêt définitif du 14 mars 1996, déclara le recours nul pour défaut de motivation.

A. Opposition à l'exécution

41.  A une date non précisée, D.Z. forma une opposition à l'exécution (contestaþie la executare) de la décision du 14 décembre 1994. Après avoir entendu les enfants, qui réitérèrent leur désir de rester avec leur père, le tribunal de première instance de Bucarest rejeta l’opposition le 7 avril 1995.

42.  Saisi par D.Z. d’un recours contre la décision, le tribunal départemental de Bucarest la confirma le 9 février 1996.

B. Demande de transfert de l’autorité parentale présentée au tribunal de première instance de Bucarest

43.  Le 27 octobre 1995, D.Z. déposa devant le tribunal de première instance de Bucarest une requête tendant à l’obtention à titre exclusif de l’autorité parentale. Il faisait valoir que depuis 1994 il habitait à Bucarest dans une villa spacieuse, offrant des conditions exceptionnelles aux enfants, qui ne désiraient pas aller vivre avec leur mère, cette dernière faisant partie d’une secte.

Le tribunal, auquel D.Z. avait déclaré que la requérante avait élu domicile chez ªtefan Constantin, fit notifier la date de l’audience uniquement à ce dernier. Il ressort des documents dont dispose la Cour que ni à ce stade de la procédure ni plus tard la requérante ne fut informée de son assignation devant le tribunal de première instance de Bucarest.

44.  Le 26 janvier 1996, sur demande du tribunal de première instance de Bucarest, le conseil municipal du deuxième arrondissement de la ville de Bucarest effectua une enquête sociale. A la suite de celle-ci, le maire de la ville de Bucarest informa le tribunal que les filles étaient bien développées, tant physiquement que sur le plan psychique, qu’elles menaient une vie normale, avaient des amis à l’école et dans le voisinage et étaient très attachées à leur père et à son épouse, qui s’occupaient très bien d’elles et auprès de qui elles souhaitaient demeurer.

45.  Après avoir tenu, le 8 et le 29 janvier 1996, deux audiences en l’absence de la requérante, et après avoir entendu les enfants à huis clos le 16 janvier 1996, le tribunal rendit son jugement le 5 février 1996, également en l’absence de la requérante. Soulignant la primauté de l’intérêt des enfants et se fondant sur des documents établis par les enseignants des filles et attestant leurs bons résultats scolaires, sur une lettre du secrétariat d’Etat pour les Cultes selon laquelle la secte dont aurait fait partie la requérante n’était pas reconnue en Roumanie et sur l’enquête sociale réalisée par le conseil municipal de Bucarest, il fit droit à la demande de D.Z., estimant que celui-ci assurait les meilleures conditions de vie et d’éducation aux enfants, qu’il avait d’ailleurs élevées seul depuis le divorce.

 

46.  Le 16 octobre 1996, le tribunal départemental de Bucarest annula le jugement sur appel pour irrégularité de l’assignation de la requérante et renvoya l'affaire devant le tribunal de première instance. Il releva que la requérante était domiciliée en France, qu’elle avait donné à ªtefan Constantin une procuration spéciale pour la représenter dans un autre litige et que, dès lors, en l’absence d’une procuration spéciale en l’espèce, sa comparution à l’audience aurait dû lui être notifiée à son domicile en France.

47.  D.Z. contesta la décision au motif que la requérante avait donné à ªtefan Constantin une procuration générale et que, donc, la notification des actes au domicile de celui-ci était régulière.

48.  Par un arrêt du 9 avril 1997, rendu en l’absence de la requérante comme d’un représentant de celle-ci, la cour d’appel de Bucarest accueillit le recours, au motif que ªtefan Constantin était le mandataire général de la requérante. Elle annula la décision du 16 octobre 1996 et renvoya l’affaire devant le tribunal départemental pour un nouvel examen du recours.

49.  L’audience devant le tribunal départemental fut fixée au 23 janvier 1998. Y assistèrent, selon le procès-verbal rédigé à cette date, D.Z., son avocat, ainsi que l’assistant de Florea Constantin, l’avocat censé, selon le tribunal, agir pour le compte de la requérante. La Cour ne peut déterminer, à partir des documents qui lui ont été soumis, qui, de Florea ou de ªtefan Constantin, a été considéré par le tribunal ayant été mandaté par la requérante.

Faisant valoir que Florea Constantin était absent, l’assistant sollicita l’ajournement des débats. Le tribunal rejeta cette demande après avoir entendu en ses conclusions l’avocat de D.Z. Il rendit sa décision le 30 janvier 1998, en l’absence de la requérante comme d’un représentant de celle-ci. Sans évoquer la question de la représentation de la requérante, il rejeta l’appel et confirma ainsi le jugement du 5 février 1996, relevant que les enfants désiraient rester avec leur père, qui leur assurait les meilleures conditions de vie.

50.  Il apparaît qu’un recours a été formé au nom de la requérante contre la décision du 30 janvier 1998. Les documents soumis à la Cour ne permettent pas de déterminer si c’est la requérante elle-même qui l’introduisit. Quoi qu’il en soit, la cour d’appel de Bucarest le rejeta pour défaut de motivation par un arrêt du 28 mai 1998. Ainsi qu’il ressort de cette décision, qui ne fut soumise au greffe par le gouvernement défendeur que le 13 septembre 1999, seul D.Z. assista à l’audience du 28 mai 1998.

C. Demande de transfert de l’autorité parentale présentée au tribunal de grande instance de Metz

51.  Par une requête du 5 janvier 1995, D.Z. sollicita du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Metz le transfert de la résidence des enfants à son domicile et l'exercice exclusif de l'autorité parentale.

52.  Après de nombreux renvois, le tribunal statua par un jugement du 22 février 1996. Il jugea d'abord qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte du jugement rendu le 5 février 1996 par le tribunal de première instance de Bucarest, au motif que ce dernier n'était pas compétent pour statuer sur le fond du droit de garde des enfants, dès lors que les juridictions roumaines ne pouvaient être saisies que d’une demande de retour des enfants en application de la Convention de La Haye. Le tribunal refusa ensuite d'entendre les deux enfants. Il constata que depuis 1991 D.Z. les avait empêchées de voir leur mère et qu'il les avait élevées dans un sentiment de haine à l'égard de celle-ci. En effet, dans leurs lettres des 1er et 3 août 1994 parlant de leur mère, les filles avaient utilisé des termes comme « idiote », « mon ex-mère », souhaitant que « sa maison ou son appartement prenne feu et qu'elle y soit à ce moment-là », termes que le tribunal jugea particulièrement choquants, s'agissant d'enfants de dix et quatorze ans. Il conclut que l'intolérance, l'intransigeance, la haine traduites dans ces lettres démontraient à suffisance que l'éducation reçue par les enfants et le milieu dans lequel elles vivaient les privaient de tout discernement.

53.  Quant à la demande de transfert de résidence, le tribunal la rejeta dans les termes suivants :

« Attendu que le Juge aux Affaires Familiales statue en fonction de l'intérêt des enfants pour déterminer le lieu de leur résidence,

Attendu que la cour d'appel de Metz par arrêt du 28 mai 1991 avait estimé que l'intérêt des enfants était de résider avec leur mère, en France, leurs deux parents ayant opté pour la nationalité française, dans leur milieu lorrain d'origine,

Attendu que depuis cette date, la mère n'a plus eu aucun contact avec ses enfants du fait du père,

Attendu que Madame Ignaccolo verse aux débats les divers procès-verbaux établis en Roumanie lors des tentatives d'exécution de la décision de retour, les courriers adressés par le Ministère de la Justice roumain au Bureau d'Entraide Judiciaire Internationale, d'où il ressort que Monsieur Zenide cache les enfants, a acquis un chien qu'il a dressé pour attaquer toutes les personnes qui s'approchent des enfants, a retiré les enfants de l'école en décembre 1994 pour éviter leur localisation,

Attendu qu'il justifie son attitude par le fait que Madame Ignaccolo fait partie d'une secte et ne s'est pas occupée des enfants pendant leur vie commune, que toutefois il ne démontre nullement ses griefs, se contentant d'allégations ou de témoignages de personnes vivant aux Etats-Unis ou en Roumanie et ne connaissant pas personnellement la mère des enfants,

Attendu que les capacités éducatives d'un père qui nie totalement l'image de la mère, qui maintient les enfants dans un sentiment de haine à l'égard de leur mère et ne leur permet même pas de se forger une opinion en leur laissant l'opportunité de la rencontrer, qui n'a pas hésité pour échapper à l'exécution des décisions judiciaires à déraciner complètement et une deuxième fois les enfants pour aller s'installer dans un pays dont elles ne connaissent pas la langue, sont sérieusement contestables,

Attendu que l'intérêt des enfants dans une telle situation est intangible et indéfinissable, compte tenu d'une part de la pression et du conditionnement qu'elles subissent chez leur père et d'autre part de leur éloignement pendant cinq ans de leur mère qu'elles ne connaissent plus,

Attendu que le désir exprimé par les enfants de rester vivre chez leur père tant dans leurs courriers que lors de leur audition par la juridiction roumaine ne peut déterminer à lui seul l'intérêt puisqu'il reviendrait à faire peser sur des enfants de 10 et 14 ans la responsabilité de la fixation de leur résidence,

Attendu que Monsieur Zenide ne saurait faire entériner une situation de fait issue d'un coup de force au seul bénéfice du temps écoulé, que dès lors il y a lieu de le débouter purement et simplement de sa requête (...) »

D. Tentatives d'exécution de la décision du 14 décembre 1994

54.  Depuis 1994, la requérante s’est rendue huit fois en Roumanie dans l'espoir de rencontrer ses enfants.

55.  L'exécution de la décision du 14 décembre 1994 fut tentée à plusieurs reprises, sans succès.

56.  Le 22 décembre 1994, un huissier de justice se rendit au domicile de D.Z., accompagné par la requérante, son avocat, un serrurier et deux policiers. Seule O.Z., l’épouse de D.Z., et un chien de garde se trouvaient à la maison. O.Z., ressortissante française, indiqua qu’elle ne permettrait à l’huissier d’inspecter la maison que si un représentant de l’ambassade de France était présent. La requérante et son avocat se rendirent donc à l’ambassade de France, où ils obtinrent que T., consul de France, et un interprète les suivent au domicile de D.Z.

57.  Pendant l’absence de la requérante, alors que les policiers et l’huissier de justice étaient toujours sur place, D.Z. et son oncle S.G. pénétrèrent dans la maison. Lorsque la requérante revint accompagnée de T. et de l’interprète, O.Z. permit aux personnes présentes, à l’exception de la requérante, de procéder à une perquisition des lieux. Vu l’agressivité du chien présent, la perquisition dut se dérouler à la hâte et les filles ne furent pas trouvées. D.Z. resta invisible pendant cette vérification.

58.  Le 23 décembre 1994, la requérante écrivit au ministre de la Justice roumain pour se plaindre de la manière dont les choses s’étaient déroulées le 22 décembre. Elle invita le ministre à déposer une plainte pénale à l’encontre de O.Z. pour non-respect d’une décision judiciaire. Affirmant être sans nouvelles de ses filles, elle lui demanda également d’attaquer D.Z., O.Z. et S.G. au pénal pour mauvais traitements infligés à des mineurs, séquestration et, le cas échéant, homicide.

59.  Le 27 décembre 1994, un huissier de justice, la requérante, son avocat et deux agents de police se rendirent à nouveau au domicile de D.Z. N’ayant trouvé personne, ils s’adressèrent à une voisine, qui leur dit que D.Z. était parti avec les enfants le 22 décembre 1994. La délégation se rendit alors au domicile de G.A., oncle de D.Z., chez qui D.Z. et les enfants habitaient parfois. Ils y trouvèrent G.A. et le même chien de garde. G.A. leur indiqua qu’il n’avait vu ni D.Z. ni les enfants depuis le 20 décembre 1994. Au sujet du chien, il expliqua à l’huissier que D.Z. l’avait acheté pour protéger ses filles.

60.  Par une lettre du 7 février 1995, le ministère de la Justice français informa la requérante que le ministère de la Justice roumain avait saisi le parquet compétent d’une plainte pénale dirigée contre D.Z.

61.  Par une lettre datée du 5 mai 1995, le ministère de la Justice roumain informa le ministère de la Justice français que de nombreuses démarches avaient été faites auprès de la police pour localiser les enfants, mais qu’elles étaient restées sans résultat, D.Z. ayant retiré les enfants de l’école. La lettre précisait également que les autorités roumaines avaient déposé contre D.Z. une plainte pénale pour mauvais traitements infligés à des mineurs. Enfin, le ministère de la Justice roumain déclarait reconnaître que la mauvaise foi de D.Z. était manifeste et assurait qu’il continuerait à appuyer la requérante dans ses démarches.

62.  Le 10 mai 1995, une délégation composée de la requérante, de son avocat, d'un représentant du ministère de la Justice roumain, de deux huissiers de justice, de trois agents de police et d'un agent de l'ambassade de France à Bucarest se rendit au domicile de D.Z. Elle put inspecter la maison, mais n’y trouva pas les enfants. Lors de l’entretien, long de quatre heures, qui s’ensuivit, D.Z. affirma que les fillettes se trouvaient en Roumanie, mais refusa d’en dire plus. Il promit néanmoins de les présenter au ministère de la Justice le 11 mai 1995.

63.  Un rapport établi par l’ambassade de France à Bucarest au sujet de la visite du 10 mai 1995 indique :

« Contrairement à ce qui avait été annoncé par Mme F. [du ministère de la Justice roumain] avant cette perquisition, D.Z. n’a pas été appréhendé par les forces de police du fait de la non-restitution des enfants. Durant cette intervention, le parquet, avec lequel Mme F. était en liaison téléphonique, a reconsidéré sa position en refusant que D.Z. soit amené. Ce revirement est vraisemblablement dû à une intervention de Me G., avocat très influent, prévenu par son client, D.Z. [...] »

64.  Ni D.Z. ni les enfants ne vinrent au rendez-vous du 11 mai 1995.

 

65.  En conséquence, D.Z. se vit remettre une convocation officielle à se présenter avec ses enfants au ministère de la Justice le 15 mai 1995, en vue d'une audition des enfants en présence de leur mère. Le 15 mai 1995, seul Me G., avocat de D.Z., se rendit au ministère et réitéra le refus de son client de présenter les enfants.

66.  Le 4 décembre 1995, une nouvelle tentative d’exécution fut entreprise. La requérante, son avocat et un huissier de justice se présentèrent au domicile de D.Z. Seuls l’huissier de justice et l’avocat de la requérante se virent autoriser l’accès par les deux policiers du sixième arrondissement déjà présents sur place, la requérante étant invitée à rester dehors. Aux dires de D.Z. et des agents de police, les enfants n’étaient pas dans la maison. L’huissier de justice se vit toutefois refuser la permission de vérifier ces dires par lui-même. Un capitaine de police que ni les deux policiers ni l’huissier ne connaissaient arriva peu de temps après et demanda à D.Z. de lui présenter les enfants le lendemain. D.Z. finit par accepter une proposition de l’avocat de la requérante l’invitant à présenter les enfants le lendemain à 10 h 30, au bureau des huissiers du tribunal de première instance de Bucarest.

67.  Le 5 décembre 1995, l’huissier de justice, la requérante et son avocat attendirent D.Z. en vain. Un procès-verbal fut rédigé à cette occasion.

68.  Par une lettre du 10 mai 1996, le ministre de la Justice français fit part à son homologue roumain des craintes de la requérante selon lesquelles les agents de police roumains toléreraient les agissements de D.Z. Il lui demanda donc d'intervenir auprès des forces de police roumaines afin que ces dernières missent tout en œuvre pour obtenir le retour des enfants auprès de leur mère.

69.  Le 29 janvier 1997, la requérante rencontra ses filles pour la première fois depuis sept ans. La rencontre dura dix minutes et se déroula à Bucarest, dans la salle des professeurs de l'établissement scolaire des enfants, où D.Z. était lui-même enseignant.

70.  Assistèrent à la rencontre un huissier de justice, deux hauts fonctionnaires du ministère roumain de la Justice, le consul général de France à Bucarest, deux officiers de la Direction générale de la police, le directeur et le directeur adjoint de l'école, ainsi que les deux maîtres de classe des filles. Selon le procès-verbal rédigé par l’huissier à cette occasion, la rencontre visait à convaincre les personnes présentes du refus des filles de retourner auprès de leur mère.

71.  Lorsqu'elle aperçut la requérante, Maud tenta de s'enfuir et menaça de se jeter par la fenêtre si elle était obligée d'avoir des relations avec sa mère. S'ensuivit, hors la présence de la requérante, une discussion au cours de laquelle Maud affirma que sa mère leur avait menti et fait beaucoup de mal. Elle réitéra son désir de rester avec son père et de ne jamais revoir sa mère.

72.  Quant à Adèle, elle se mit à pleurer et cria à la requérante de s'en aller, en affirmant qu'elle ne voulait plus jamais la revoir. Son maître de classe prit l'initiative de mettre fin à l'entrevue afin de ne pas choquer la mineure. Les filles ayant été éloignées par les deux maîtres de classe, la requérante affirma ne plus insister pour obtenir l’exécution de l’ordonnance du 14 décembre 1994 et demanda au directeur de l'école de la tenir au courant régulièrement des résultats scolaires de ses filles.

73.  Par une lettre du 31 janvier 1997, le ministère de la Justice roumain, Autorité centrale roumaine, informa le ministère de la Justice français, Autorité centrale française, de sa décision d’ordonner le non-retour des enfants. La décision était motivée par le refus obstiné des enfants de revoir leur mère, tel qu’il était apparu lors de la rencontre du 29 janvier 1997.

74.  Par une lettre du 17 juin 1997, le ministère de la Justice roumain communiqua à la requérante les moyennes scolaires obtenues par les filles pendant l'année scolaire 1996-1997.

75.  Dans une lettre du 7 juillet 1997 adressée au ministère de la Justice roumain, la requérante se plaignit de ce que le directeur de l’école n’avait pas honoré sa promesse de la tenir régulièrement au courant des résultats scolaires de ses filles et exprima sa déception devant la pauvreté des informations fournies le 17 juin 1997. Enfin, elle déclara ne pouvoir accepter une telle « facétie ».

II. LE DROIT et la pratique INTERNEs PERTINENTs

A. La Constitution

76.  Les dispositions pertinentes de la Constitution de 1991 se lisent comme suit :

Article 11(2)

« Les traités ratifiés par le Parlement selon les voies légales font partie intégrante de l’ordre juridique interne. »

Article 20

« (1) Les dispositions constitutionnelles concernant les droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées en concordance avec la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et les pactes et autres traités auxquels la Roumanie est partie.

(2) En cas de contradiction entre les pactes et traités concernant les droits fondamentaux de l’homme auxquels la Roumanie est partie et les lois internes, les dispositions internationales prévaudront. »

B. La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants

77.  Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye sont ainsi libellées :

Article 7

« Les Autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention.

En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées :

a.  pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ;

b.  pour prévenir de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires ;

c.  pour assurer la remise volontaire de l’enfant ou faciliter une solution amiable ;

d.  pour échanger, si cela s’avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l’enfant ;

e.  pour fournir des informations générales concernant le droit de leur Etat relatives à l’application de la Convention ;

f.  pour introduire ou favoriser l’ouverture d’une procédure judiciaire ou administrative, afin d’obtenir le retour de l’enfant et, le cas échéant, de permettre l’organisation ou l’exercice effectif du droit de visite ;

g.  pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l’obtention de l’assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d’un avocat ;

h.  pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l’enfant ;

i.  pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application. »

Article 11

« Les autorités judiciaires ou administratives de tout Etat contractant doivent procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant.

 

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative saisie n’a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l’Autorité centrale de l’Etat requis, de sa propre initiative ou sur requête de l’Autorité centrale de l’Etat requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard.

(...) »

C. Le code de la famille

78.  L’article 108 du code de la famille dispose :

« L’autorité de tutelle (autoritatea tutelarã) doit exercer un contrôle effectif et continu sur la manière dont les parents s’acquittent de leurs obligations concernant la personne et les biens de l’enfant.

Les délégués de l’autorité de tutelle ont le droit de visiter les enfants chez eux et de se renseigner par tous les moyens sur la manière dont les personnes qui en ont la charge s’occupent d’eux, sur leur santé et leur développement physique, leur éducation (...) ; au besoin, ils donnent les instructions nécessaires. »

D. Le code pénal

79.  L’article 307 du code pénal énonce :

« La rétention de l’enfant mineur par l’un de ses parents sans l’autorisation de l’autre parent (...) sous l’autorité duquel se trouve l’enfant conformément à la loi est sanctionnée par une peine de un à trois mois d’emprisonnement ou par une amende.

Est passible de la même peine la personne à qui l’autorité parentale a été dévolue par décision judiciaire et qui, de manière répétitive, empêche un des parents d’avoir des relations personnelles avec l’enfant mineur dans les conditions établies par les parties ou par l’organisme compétent.

Les poursuites ne peuvent être déclenchées que si une plainte pénale a préalablement été déposée par la victime.

La réconciliation des parties supprime la responsabilité pénale. »

E. Le code de procédure pénale

80.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent comme suit :

Article 279

« En ce qui concerne les infractions pour lesquelles la loi prévoit la nécessité d’une plainte pénale préalable, l’ouverture des poursuites ne peut avoir lieu qu’à la suite d’une plainte de la victime.

La plainte préalable est déposée :

(...)

b) auprès de l’organe chargé des enquêtes pénales ou auprès du procureur, pour les autres infractions que celles prévues à l’alinéa a) (...) »

Article 284

« Lorsque la loi exige une plainte pénale préalable, celle-ci doit être déposée dans un délai de deux mois à compter du jour où la victime a su l’identité de l’auteur de l’infraction (...) »

Article 285

« La plainte préalable déposée irrégulièrement auprès du parquet ou du tribunal sera transmise à l’organe compétent. Dans ce cas, elle sera considérée comme valable si elle a été déposée auprès de l’organe incompétent dans le délai exigé par la loi. »

F. Le code de procédure civile

81.  Les dispositions pertinentes du code de procédure civile sont ainsi libellées : 

Article 67

« Les parties peuvent exercer leurs droits procéduraux personnellement ou par l’intermédiaire d’un mandataire.

Le mandataire ayant une procuration générale ne peut représenter son mandant devant un tribunal que si ce droit lui a été accordé expressément.

Si celui qui a donné la procuration générale n’a pas son domicile ou sa résidence en Roumanie (...) il est présumé avoir donné aussi le droit de le représenter devant un tribunal. »

Article 87

« (...)

8. Sauf disposition contraire figurant dans un traité, une convention internationale ou une loi spéciale, ceux qui se trouvent à l’étranger et dont le domicile ou la résidence à l’étranger sont connus sont cités à comparaître par une notification recommandée (...)

Dans tous les cas où ceux qui se trouvent à l’étranger ont un mandataire connu en Roumanie, celui-ci est cité (...) »

Article 107

« A peine de nullité, le président reporte l’affaire chaque fois qu’il constate que la partie absente ne s’est pas vu notifier la comparution régulièrement. »

G. Loi n° 142 du 24 juillet 1997 portant modification de la loi sur l’organisation judiciaire

82.  Les dispositions pertinentes de la loi n° 142 du 24 juillet 1997 portant modification de la loi n° 92/1992 sur l’organisation judiciaire énoncent :

Article 30

« Le ministère public exerce ses attributions par l’intermédiaire des procureurs constitués en parquets auprès de chaque tribunal, sous l’autorité du ministre de la Justice.

L’activité du ministère public est organisée selon les principes de légalité, d’impartialité et de contrôle hiérarchique.

(...) »

Article 31 i)

« Le ministère public a les attributions suivantes :

(...)

la défense des droits et intérêts des mineurs et interdits (...) »

Article 38

« Le ministre de la Justice exerce le contrôle sur tous les procureurs, par le truchement des procureurs inspecteurs du parquet placés auprès de la Cour suprême de justice et des cours d’appel ou par le truchement d’autres procureurs délégués.

Lorsqu’il le juge nécessaire, le ministre de la Justice, d’office ou sur demande du Conseil supérieur de la magistrature, exerce son contrôle par le truchement des inspecteurs généraux ou des procureurs détachés (...)

(...)

Le ministre de la Justice peut demander au procureur général de la Cour suprême de justice des informations sur l’activité des parquets et peut donner des conseils quant aux mesures à prendre pour lutter contre la criminalité.

 

Le ministre de la Justice a le droit de donner, soit directement soit par l’intermédiaire du procureur général, des instructions écrites au procureur compétent afin que celui-ci procède, conformément à la loi, à l’ouverture de poursuites pénales concernant des infractions dont il a connaissance ; il peut par ailleurs fair exercer devant les tribunaux les actions et voies de recours nécessaires à la protection de l’intérêt public. (...) »

H. Pratique concernant la notification de l’assignation à comparaître

 

83.  Dans sa décision n° 87 rendue en 1993, la Cour suprême de justice confirma sa jurisprudence constante en matière d’assignation des personnes habitant à l’étranger, qui oblige à citer au domicile à l’étranger, mais aussi, le cas échéant, au domicile roumain du mandataire.

La doctrine, de son côté, met en évidence le caractère obligatoire de la citation, à son domicile à l’étranger, de la personne concernée, même lorsque celle-ci a un mandataire en Roumanie (Viorel Mihai Ciobanu, Traité théorique et pratique de procédure civile, tome II, p. 94, Bucarest, 1997).

84.  Selon une jurisprudence constante, les tribunaux considèrent que les dispositions légales concernant l’assignation à comparaître sont impératives, car elles visent à faire respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense. Le non-respect de ces dispositions entraîne la nullité de la décision ainsi prononcée, sa cassation et son renvoi devant le juge du fond (tribunal départemental de Bucarest, troisième chambre civile, décision n° 226/1990, in Recueil de jurisprudence civile du tribunal départemental de Bucarest, n° 155, p. 123, Bucarest, 1992 ; Cour suprême de justice, chambre civile, décision n° 779 du 6 avril 1993, in Bulletin de jurisprudence de la Cour suprême de justice pour 1993, p. 126, Bucarest, 1994).

procÉdure devant la commission

85.  Mme Ignaccolo-Zenide a saisi la Commission le 22 janvier 1996. Elle alléguait qu’au mépris de l’article 8 de la Convention, qui garantit le respect de son droit au respect de sa vie familiale, les autorités roumaines n’avaient pas mis en œuvre les mesures propres à assurer l’exécution des décisions judiciaires ayant partagé la garde des enfants entre elle-même et son ex-époux et ayant fixé leur résidence chez elle.

86.  La Commission a retenu la requête (no 31679/96) le 2 juillet 1997. Dans son rapport du 9 septembre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut à la violation de l’article 8 (unanimité).

CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR

87.  Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à constater qu’il s’est conformé aux obligations positives lui incombant en vertu de l’article 8 de la Convention et que, par conséquent, il n’y a pas eu violation de cette clause.

88.  De son côté, la requérante prie la Cour de dire qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 41.

EN DROIT

i. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

89.  La requérante allègue que les autorités roumaines n’ont pas pris les mesures adéquates pour assurer l’exécution rapide des décisions de justice rendues en l’espèce et favoriser le retour de ses filles auprès d’elle. Lesdites autorités auraient ainsi violé l’article 8 de la Convention, dont voici le texte :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

90.  La requérante dénonce en particulier le manque de sérieux des tentatives entreprises pour faire exécuter l’ordonnance du 14 décembre 1994, qu’elle qualifie de « simulacres », et souligne qu’aucune démarche n’a été accomplie pour retrouver ses filles, cachées par leur père avant chaque arrivée de l’huissier de justice. Quant à la rencontre organisée par les autorités le 29 janvier 1997, elle estime que, compte tenu des circonstances l’ayant entourée, il ne s’agit là que d’un simulacre de plus. Elle reproche aussi aux autorités roumaines leur inactivité totale entre décembre 1995 et janvier 1997.

91.  Le Gouvernement soutient que les autorités en question ont entrepris des démarches adéquates et suffisantes pour faire exécuter l’ordonnance du 14 décembre 1994, par exemple en faisant assister l’huissier de justice par des policiers ou en convoquant le père des enfants au ministère de la Justice. Il souligne que si ladite décision n’a pas été exécutée cela est dû, d’une part, à son non-respect par le père, dont l’attitude ne saurait engager la responsabilité du Gouvernement, et, d’autre part, au refus des enfants d’aller vivre avec la requérante, chose que l’on ne saurait davantage reprocher au Gouvernement.

92.  Pour la Commission, les autorités nationales ont négligé de déployer les efforts auxquels on pouvait normalement s’attendre pour faire respecter les droits de la requérante, portant ainsi atteinte à son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention.

93.  La Cour note en premier lieu qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le lien entre la requérante et ses enfants relève d’une vie familiale au sens de ladite disposition.

94.  Il s’agit dès lors de déterminer s’il y a eu manque de respect pour la vie familiale de la requérante. La Cour rappelle que si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Dans un cas comme dans l’autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (arrêt Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, série A n° 290, p. 19, § 49).

S’agissant de l’obligation pour l’Etat d’arrêter des mesures positives, la Cour n’a cessé de dire que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, les arrêts Eriksson c. Suède du 22 juin 1989, série A n° 156, pp. 26-27, § 71, Margareta et Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, série A n° 226-A, p. 30, § 91, Olsson c. Suède (n° 2) du 27 novembre 1992, série A n° 250, pp. 35-36, § 90, et Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, série A n° 299-A).

Toutefois, l’obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures à cet effet n’est pas absolue, car il arrive que la réunion d’un parent à ses enfants vivant depuis un certain temps avec l’autre parent ne puisse avoir lieu immédiatement et requière des préparatifs. La nature et l’étendue de ceux-ci dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées en constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s’évertuer à faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention. Dans l’hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux (arrêt Hokkanen précité, p. 22, § 58).

95.  Enfin, la Cour estime que les obligations positives que l’article 8 de la Convention fait peser sur les Etats contractants en matière de réunion d’un parent à ses enfants doivent s’interpréter à la lumière de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants (« la Convention de La Haye »). Il en va d’autant plus ainsi en l’espèce que l’Etat défendeur est également partie à cet instrument, dont l’article 7 dresse une liste de mesures à prendre par les Etats pour assurer le retour immédiat des enfants.

96.  Le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter l’exécution de l’ordonnance du 14 décembre 1994, toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles (arrêt Hokkanen, ibidem).

1. Sur la période à prendre en considération

97.  Le Gouvernement soutient que son obligation de prendre des mesures pour faciliter le regroupement de la requérante et de ses enfants est née de l’ordonnance rendue en référé le 14 décembre 1994 par le tribunal de première instance de Bucarest et a pris fin avec la décision irrévocable du 28 mai 1998 par laquelle la cour d’appel de Bucarest a confié l’autorité parentale à D.Z.

98.  La requérante conteste la thèse du Gouvernement et fait valoir que la décision du 28 mai 1998 n’a jamais été portée à sa connaissance et qu’elle en ignore la teneur. Elle nie de plus avoir nommé un mandataire pour la représenter dans la procédure ayant abouti à la décision susmentionnée et estime que, dès lors qu’elle n’a pas été partie à l’instance, la décision en question a été rendue au mépris du principe du contradictoire et ne saurait lui être opposée. Elle conteste enfin que les tribunaux roumains fussent compétents pour prendre une décision sur le fond quant à l’autorité parentale et fait valoir que, selon l’article 16 de la Convention de La Haye, la compétence exclusive en la matière appartient aux tribunaux français. Elle souligne à cet égard que les tribunaux roumains ont été saisis par D.Z. d’une action en modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale alors qu’une action identique était déjà pendante devant les tribunaux français, toujours à l’initiative de D.Z.

99.  La Cour doit donc déterminer si l’obligation pour les autorités de prendre des mesures afin de faciliter l’exécution de l’ordonnance du 14 décembre 1994 s’est éteinte à la suite de l’arrêt du 28 mai 1998 confiant l’autorité parentale à D.Z.

La Cour rappelle que, dans son arrêt McMichael c. Royaume-Uni du 24 février 1995 (série A n° 307-B, p. 55, § 87), elle a jugé que, bien que l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, il faut « que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par l’article 8 :

« Il échet (...) de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 (arrêt W. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A n° 121-A, pp. 28 et 29, §§ 62 et 64). »

La Cour relève d’abord que ni la requérante ni un représentant de celle-ci n’assistèrent au prononcé de l’arrêt de la cour d’appel de Bucarest du 28 mai 1998, lequel ne fut pas non plus notifié à l’intéressée. Ce n’est que le 13 septembre 1999, lorsque le gouvernement défendeur le soumit à la Cour, que la requérante put prendre connaissance de l’arrêt en question. D’autre part, la requérante n’a comparu à aucune des audiences organisées dans le cadre de la procédure qui a abouti à la décision en cause. Il ressort des documents produits par le Gouvernement que, contrairement à ce qu’exige l’article 87 (8) du code de procédure civile roumain, aucune assignation à comparaître n’a été notifiée à la requérante à son domicile en France, alors que celui-ci était connu.

En ce qui concerne la notification adressée à ªtefan Constantin, la Cour relève qu’elle ne remplaçait pas la notification à la requérante exigée par l’article 87 in fine du code de procédure civile et par la jurisprudence constante des tribunaux internes (paragraphe 83 ci-dessus).

100.  Au vu de ces circonstances, la Cour estime que la procédure ayant abouti à la décision de la cour d’appel de Bucarest ne remplissait pas les exigences de procédure contenues dans l’article 8 de la Convention. En conséquence, elle ne peut considérer que la décision susmentionnée a mis fin aux obligations positives incombant au gouvernement en vertu de l’article 8.

2. Sur la mise en œuvre des droits de la requérante à l’autorité parentale et au retour des enfants

101.  La Cour doit donc déterminer si les autorités nationales ont pris les mesures nécessaires et adéquates pour faciliter l’exécution de l’ordonnance du 14 décembre 1994.

102.  Dans une affaire de ce genre, l’adéquation d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre. En effet, les procédures relatives à l’attribution de l’autorité parentale, y compris l’exécution de la décision rendue à leur issue, exigent un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre les enfants et celui des parents qui ne vit pas avec eux. En l’espèce, il en va d’autant plus ainsi que l’action introduite par la requérante est une action en référé. Or, l’essence d’une telle action est de prémunir l’individu contre tout préjudice pouvant résulter du simple écoulement du temps.

La Cour relève que la Convention de La Haye exige, en son article 11, que les autorités judiciaires ou administratives saisies procèdent d’urgence en vue du retour de l’enfant, toute inaction au-delà de six semaines pouvant donner lieu à une demande de motivation.

103.  En l’espèce, les huissiers de justice se déplacèrent à quatre reprises au domicile de D.Z. entre décembre 1994 et décembre 1995. Si les premières tentatives d’exécution eurent lieu immédiatement après l’ordonnance du 14 décembre 1994, à savoir les 22 et 27 décembre 1994, la Cour ne peut pas en dire autant des tentatives ultérieures : le troisième déplacement des huissiers n’eut lieu que plus de quatre mois plus tard, le 10 mai 1995, tandis que le quatrième intervint le 4 décembre 1995.

La Cour note qu’aucune explication satisfaisante n’a été avancée pour justifier ces délais. De même, elle a du mal à apercevoir les motifs sur lesquels le tribunal départemental de Bucarest s’est fondé pour décider de suspendre l’exécution de l’ordonnance entre le 30 juin et le 1er septembre 1995.

104.  De surcroît, la Cour relève une inactivité totale des autorités roumaines pendant plus d’un an, soit à partir de décembre 1995 et jusqu’au 29 janvier 1997, date à laquelle eut lieu la seule rencontre entre la requérante et ses enfants. Aucune explication n’a été fournie par le gouvernement défendeur à cet égard.

105.  Pour le reste, elle observe qu’aucune autre mesure n’a été prise par les autorités pour créer les conditions nécessaires à l’exécution de l’ordonnance litigieuse, qu’il s’agisse de mesures coercitives à l’encontre de D.Z. ou de mesures préparatoires en vue du retour des enfants.

106.  Si des mesures coercitives à l’égard des enfants ne sont pas souhaitables dans ce domaine délicat, le recours à des sanctions ne doit pas être écarté en cas de comportement illégal du parent avec lequel vivent les enfants.

107.  Le Gouvernement allègue que de telles mesures n’auraient pu être adoptées qu’à l’initiative de la requérante. Or celle-ci n’aurait entrepris aucune démarche en ce sens. Elle aurait pu notamment, en vertu de l’article 1075 du code civil, saisir un tribunal civil d’une action en fixation d’une astreinte pour chaque jour de retard dans l’exécution de l’ordonnance du 14 décembre 1994, ou déposer auprès des organes compétents une plainte pénale pour non-respect des mesures en matière d’autorité parentale.

108.  La Cour n’est pas appelée à examiner si l’ordre juridique interne permettait l’adoption de sanctions efficaces à l’encontre de D.Z. En effet, il appartient à chaque Etat contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention. La Cour a uniquement pour tâche d’examiner si, en l’espèce, les mesures adoptées par les autorités roumaines étaient adéquates et suffisantes.

109.  Elle note à cet égard que l’omission par D.Z. de se rendre au ministère de la Justice les 11 et 15 mai 1995 comme il y avait été invité n’entraîna pour lui aucune conséquence. De même, les autorités roumaines ne lui infligèrent aucune sanction à la suite de son refus de présenter les enfants aux huissiers de justice. Au surplus, elles ne prirent aucune initiative pour tenter de localiser les enfants.

110.  Quant à l’absence alléguée d’une plainte pénale, nécessaire pour déclencher des poursuites à l’encontre de D.Z., la Cour relève que, dans une lettre du 23 décembre 1994, la requérante indiquait au ministre de la Justice qu’elle désirait déposer une plainte pénale à l’encontre de D.Z., et, après avoir précisé les motifs de cette plainte, lui demandait de faire le nécessaire. Or aucune suite ne fut donnée à cette lettre.

La Cour observe que, d’après les articles 30 et 38 de la loi portant modification de la loi sur l’organisation judiciaire, le parquet exerce son activité sous l’autorité du ministre de la Justice, lequel a le pouvoir de donner des instructions aux procureurs. Dans ces conditions, elle juge inopérant l’argument du gouvernement défendeur selon lequel la requérante n’a pas déposé une plainte pénale auprès de l’organe compétent.

111.  Par ailleurs, dans la mesure où le Gouvernement reproche à la requérante de ne pas avoir introduit une action en fixation d’une astreinte, la Cour estime qu’une telle action ne saurait passer pour suffisante, car il s’agit là d’une voie indirecte et exceptionnelle d’exécution. De surcroît, l’inaction de la requérante ne pouvait relever les autorités des obligations leur incombant, en tant que dépositaires de la force publique, en matière d’exécution.

112.  En outre, aucun contact préparatoire entre les services sociaux, la requérante et les enfants ne fut organisé par les autorités, qui ne sollicitèrent pas davantage le concours de pédopsychiatres ou de psychologues (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Olsson précité, pp. 35-36, §§ 89-91). Ainsi, les services sociaux, auxquels l’article 108 du code de la famille conférait pourtant des pouvoirs suffisants en la matière, ne rencontrèrent les enfants qu’à l’occasion de la procédure en transfert de l’autorité parentale (paragraphe 44 ci-dessus) et se bornèrent à effectuer des enquêtes purement descriptives.

Hormis celle du 29 janvier 1997, aucune rencontre entre la requérante et ses enfants ne fut organisée par les autorités, alors que l’intéressée s’est déplacée en Roumanie à huit reprises dans l’espoir de les voir. Quant à la rencontre du 29 janvier 1997, qui, la Cour le souligne, eut lieu un an après l’introduction de la présente requête devant la Commission et deux ans après l’ordonnance de référé du 14 décembre 1994, elle ne fut pas organisée, selon la Cour, dans des conditions propres à favoriser un développement positif des relations entre la requérante et ses enfants. Elle se déroula dans l’établissement scolaire des enfants, où leur père était enseignant, et en présence d’une délégation nombreuse composée d’enseignants, de fonctionnaires, de diplomates, de policiers, de la requérante et de son avocat (paragraphe 70 ci-dessus). Aucun travailleur social ni aucun psychologue n’avaient été associés à la préparation de cette rencontre. L’entrevue ne dura que quelques minutes, prenant fin lorsque les enfants, de toute évidence nullement préparées, firent mine de s’enfuir (paragraphes 71-72).

Le 31 janvier 1997, aussitôt après l’échec de cette unique rencontre, le ministère de la Justice roumain, en tant qu’Autorité centrale, ordonna le non-retour des enfants au motif qu’elles refusaient d’aller vivre avec leur mère (paragraphe 73 ci-dessus). Depuis cette date, aucune démarche ne fut plus entreprise pour tenter de rapprocher la requérante et ses enfants.

113.  La Cour note enfin que les autorités n’ont pas adopté les mesures propres à assurer le retour des enfants auprès de la requérante énumérées à l’article 7 de la Convention de La Haye.

Eu égard à ce qui précède et nonobstant la marge d’appréciation de l’Etat défendeur en la matière, la Cour conclut que les autorités roumaines ont omis de déployer des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de la requérante au retour de ses enfants, méconnaissant ainsi son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8.

Partant, il y a eu violation de l’article 8.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

114.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Préjudice moral

115.  Mme Ignaccolo-Zenide réclame 200 000 francs français (FRF) à titre de réparation du tort moral dû à l’angoisse et à la détresse qu’elle aurait éprouvées faute de mise en œuvre de ses droits parentaux.

116.  Le Gouvernement ne prend pas position.

117.  La Cour estime que la requérante doit effectivement avoir subi un préjudice moral. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle lui alloue 100 000 FRF à ce titre.

B. Frais et dépens

118.  L’intéressée sollicite en outre le remboursement d’une somme de 86 000 FRF qu’elle décompose comme suit :

a) 46 000 FRF pour les frais et dépens afférents à la procédure interne, dont 6 000 FRF pour les honoraires de son avocat en Roumanie et 40 000 FRF pour les frais de déplacement et de séjour qu’il lui a fallu consentir à l’occasion de ses huit voyages en Roumanie ;

b) 40 000 FRF pour les honoraires dus à l’avocat qui l’a représentée à Strasbourg, conformément à la convention d’honoraires conclue le 15 juillet 1998.

119.  La requérante invite la Cour à y ajouter « toutes taxes éventuelles sur la valeur ajoutée ».

120.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

121.  La Cour estime que les frais relatifs aux démarches accomplies, en Roumanie comme à Strasbourg, pour empêcher ou faire redresser la situation qu’elle a jugée contraire à l’article 8 de la Convention correspondaient à une nécessité ; ils doivent dès lors être remboursés dans la mesure où ils ne dépassent pas un niveau raisonnable (voir, par exemple, l’arrêt Olsson c. Suède (n° 1) du 24 mars 1988, série A n° 130, p. 43, § 104).

La Cour alloue à la requérante pour frais et dépens la somme de 86 000 FRF, à majorer de tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.

C. Intérêts moratoires

122.  Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt était de 3,47 % l’an.

par ces motifs, la cour

1. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

2. Dit, par six voix contre une, que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes, à majorer de tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée :

a) pour dommage moral 100 000 FRF ;

b) pour frais et dépens 86 000 FRF ;

3. Dit, que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 3,47 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 25 janvier 2000.

 

 

 

Michael O’Boyle Elisabeth Palm

Greffier Présidente

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement de la Cour, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion en partie dissidente de M. Maruste ;

– opinion en partie dissidente de Mme  Diculescu-ªova.

 

E.P.
M.O.B.

Opinion EN PARTIE dissidente de M. le juge Maruste

(Traduction)

Je comprends et puis admettre l’approche formelle adoptée par la majorité, mais je n’en ai pas moins voté contre le constat d’une violation de l’article 8, et ce pour les motifs suivants.

Il me paraît que la solution retenue en l’espèce va à l’encontre de l’objet et du contenu même d’une affaire telle que celle-ci. Il est vrai que, du point de vue des relations entre les enfants et leurs parents divorcés ou séparés, les exigences d’une vie familiale sont compliquées et délicates. Il est vrai également qu’en pratique les organes de Strasbourg se sont toujours montrés très prudents dans leur mission de contrôle des décisions rendues par les autorités nationales. Néanmoins, j’estime que ce ne sont pas seulement les parents mais également les enfants qui doivent bénéficier de l’article 8. J’irais plus loin : les enfants sont et doivent être les premiers bénéficiaires lorsque les intérêts de leurs parents sont en conflit et qu’ils sont eux-mêmes suffisamment mûrs pour exprimer clairement leurs propres préférences.

Eu égard à la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, et en particulier à son article 4, qui oblige les Etats parties à prendre toutes les mesures qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans ledit instrument, les droits et intérêts supérieurs de l’enfant doivent être promus. A cet effet, il s’impose de donner aux enfants la possibilité d’exercer leurs droits, notamment dans les procédures familiales les intéressant, et de dûment tenir compte de leur avis (voir la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants, STE n° 160). En conséquence, là où les intérêts des parents sont en conflit, l’opinion et les préférences des enfants doivent être véritablement entendues et prises en considération dans les procédures et lors de l’adoption de décisions les concernant.

En l’occurrence, il ressort clairement du dossier que les enfants vivent depuis longtemps avec leur père. Du point de vue de leurs intérêts supérieurs, les circonstances qui ont présidé à cette situation et le rôle joué à cet égard par chacun des parents ou par les autorités publiques ne revêtent pas une importance décisive. Il est constant aussi qu’en l’espèce les enfants ont déclaré expressément préférer vivre avec leur père ; cette préférence doit elle aussi entrer en ligne de compte. Je regrette beaucoup que cet élément ait

été négligé, tant dans les procédures internes que dans les procédures étrangères. D’après moi, mettre à exécution une décision judiciaire ancienne contre la volonté de ceux qui en faisaient l’objet n’est pas loin de constituer une voie de fait.

 

Par ailleurs, j’estime que les défauts et délais qui ont entaché la procédure relèvent plutôt de l’article 6 de la Convention que de l’article 8.

Opinion EN PARTIE dissidente de Mme LA JUGE DICULESCU-ªOVA

 

Compte tenu des circonstances de la cause, j’exprime mon désaccord quant à la manière dont la Cour a appliqué l’article 41 de la Convention.

La requérante sollicitait une indemnité pour le préjudice moral résultant de l’impossibilité d’exercer ses droits parentaux dans laquelle elle se serait trouvée pendant neuf ans.

C’est pourtant un fait incontestable par l’intéressée qu’en 1989 elle a renoncé à ses droits parentaux (paragraphe 10 de l’arrêt) pour des raisons financières et fiscales.

C’est aussi un fait incontestable par elle que, de 1989 à fin 1994, il n’y a pas eu, faute de rapports, de vie familiale entre elle et ses filles.

L’intolérance et le rejet manifestés par les adolescentes envers leur mère n’ayant fait que s’accentuer, il est devenu très difficile pour les autorités roumaines de respecter à la lettre l’article 8 de la Convention.

La Cour a estimé que les obligations positives prévues audit article en matière de réunion d’un parent à ses enfants doivent être interprétées à la lumière de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants.

Or l’Etat défendeur a respecté la Convention de La Haye et, partant, l’intérêt des mineures, évitant ainsi qu’elles ne soient traumatisées.

Dans ces conditions, et compte tenu, premièrement, de ce que le conflit et le préjudice moral allégué trouvent leur origine dans l’attitude adoptée par la mère dès 1989, deuxièmement, de ce que, pendant cinq ans, les filles se sont trouvées en dehors du territoire et de la juridiction de l’Etat défendeur, alors que la somme réclamée au titre du préjudice moral couvre également cette période, et, troisièmement, de la situation de l’Etat défendeur à ce stade et dans ce conflit, j’estime que le constat d’une violation de l’article 8 de la Convention eût représenté en l’espèce une réparation suffisante du préjudice moral éprouvé.

En ce qui concerne les frais, je juge que la somme de 40 000 FRF allouée par la Cour pour les honoraires réclamés par l’avocat français ayant défendu la requérante à Strasbourg est excessive par rapport au travail (mémoire et plaidoirie) effectué, d’autant qu’aucune note d’honoraires ventilant cette somme n’a été produite devant la Cour.