DEUXIÈME SECTION

 

 

 

 

AFFAIRE GHEORGHIU c. ROUMANIE

(Requête no 31678/96)

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

17 décembre 2002

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Gheorghiu et autres c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mmes W. Thomassen,
A. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 novembre 2002,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31678/96) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Theodor Gheorghiu et M. Dinu-Ioan Gheorghiu (« les requérants ») avaient saisi la Commission en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme C. Tarcea, du ministère de la Justice.

3.  Les requérants alléguaient en particulier que le refus de la Cour suprême de Justice, le 9 novembre 1995, de reconnaître aux tribunaux la compétence pour trancher une action en revendication était contraire à l’article 6 de la Convention. En outre, les requérants se plaignaient que l’arrêt de la Cour suprême avait eu pour effet de porter atteinte à leur droit au respect de leurs biens, tel que reconnu par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

6.  La Cour a déclaré la requête recevable le 30 mai 2000.

7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

8.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9.  Les requérants sont des ressortissants roumains, le second ayant aussi la nationalité grecque. Ils sont nés respectivement en 1931 et 1932. Le premier requérant réside à Cologne et le deuxième à Athènes.

10.  En 1992, les requérants, en qualité d’héritiers, assignèrent devant le tribunal de première instance de Braşov la société d’Etat R. administrant les logements d’Etat, demandant à ce que le tribunal constate la nullité du procès-verbal no 982/1974 par lequel l’immeuble ayant appartenu à leur mère, C.G., était devenue propriété d’Etat, ainsi que la restitution de l’immeuble.

11.  Par jugement du 5 octobre 1992, le tribunal constata que, le 15 janvier 1974, la société d’Etat R. avait dressé un procès-verbal constatant qu’en application des décrets nos. 218/1960 et 716/1966, instituant un délai spécial de prescription de deux ans pour les biens que l’Etat socialiste s’était approprié, l’Etat était devenu propriétaire de l’immeuble appartenant à la mère des requérants. Le tribunal souligna que, selon les articles 1847 et 1851 du Code civil, constituant le droit commun en matière de prescription, la possession devait être, aux fins de prescription, paisible. Or, l’Etat avait pris possession de la maison de C.G. en employant des moyens violents et il avait conservé cette possession par la violence. Le tribunal jugea que la possession n’avait pas été paisible et que les dispositions des décrets nos 218/1960 et 712/1966 ne s’appliquaient pas en l’espèce. Par conséquent, il accueillit l’action des requérants, annula le procès-verbal no 982/1974 et ordonna la restitution de l’immeuble. Ce jugement devint définitif en l’absence de recours.

12.  A une date non précisée, le procureur général de Roumanie, s’appuyant sur l’article 330 du code de procédure civile, introduit par la loi no 59/1993, forma devant la Cour suprême de Justice un recours en annulation contre le jugement du 5 octobre 1992, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l’application des décrets nos 218/1960 et 712/1966.

13.  Par arrêt du 9 novembre 1995, la Cour suprême de Justice annula le jugement et rejeta l’action des requérants. Elle souligna que la loi était un moyen d’acquisition de la propriété, constata que l’Etat s’était approprié le bien immobilier en vertu des décrets nos 218/1960 et 712/1966 et rappela que l’application de ces décrets ne pouvait pas être contrôlée par les tribunaux. Par conséquent, la Cour suprême estima que le tribunal de première instance n’avait pu rendre son jugement constatant que les requérants étaient les véritables propriétaires de la maison qu’en modifiant les décrets susmentionnés et, dès lors, en outrepassant ses attributions et en empiétant sur celles du pouvoir législatif. La Cour suprême confirma le droit des anciens propriétaires d’introduire des actions en revendication, mais jugea qu’en l’espèce, les requérants n’avaient pas apporté la preuve de leur droit de propriété, tandis que l’Etat avait démontré que son titre était fondé sur les décrets susmentionnés. La Cour suprême conclut que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l’Etat s’était approprié abusivement.

14.  Après la promulgation de la loi no 112/1995, l’Etat a vendu plusieurs appartements de l’immeuble litigieux aux locataires.

15.  A une date non précisée, les requérants introduisirent devant le tribunal de première instance de Braşov une action en revendication de leur immeuble à l’encontre du Conseil local de Braşov et de la société administrant les logements de l’Etat, demandant également l’annulation des contrats de vente conclus par celle-ci avec les locataires. Selon les informations dont dispose la Cour, cette procédure est toujours pendante devant le tribunal de première instance.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16.  Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l’arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII).

EN DROIT

I.  SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

17.  Dans ses observations postérieures à l’adoption de la décision sur la recevabilité, le Gouvernement soulève des exceptions concernant le non-épuisement de voies de recours internes et la qualité de victime des requérants.

18.  La Cour note que le Gouvernement réitère en fait les exceptions qui ont déjà été examinées par la Cour et rejetées par sa décision sur la recevabilité du 30 mai 2000. La Cour ne décèle aucun élément nouveau, susceptible de justifier le réexamen de ces exceptions. En effet, elle relève que les requérants n’ont pas obtenu un redressement adéquat de la violation alléguée, car ils ne se sont toujours pas vu restituer l’immeuble en cause, ni octroyer d’indemnisation pour celui-ci.

19.  La Cour rejette, par conséquent, les exceptions préliminaires du Gouvernement.

II.  SUR LE FOND

A.  Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

20.  D’après les requérants, l’arrêt du 9 novembre 1995 de la Cour suprême de justice a enfreint l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

21.  Dans leur mémoire, les requérants font valoir que le refus de la Cour suprême de justice de reconnaître aux tribunaux la compétence de se prononcer sur la validité d’un titre de propriété, équivaut à nier le droit à un tribunal, en violation de l’article 6 de la Convention. Les requérants font en outre valoir que la loi no 112/1995 du 23 novembre 1995 prévoit des mesures réparatrices seulement pour les nationalisations « sur titre », de sorte qu’ils ne peuvent pas en bénéficier. Ainsi, la Cour suprême de justice les a privés de tout recours pour faire trancher leur litige, puisqu’ils ne disposent plus de la voie judiciaire pour récupérer leur bien.

Les requérants estiment en outre qu’il y a eu atteinte à l’équité de la procédure devant la Cour suprême de justice du fait de l’application rétroactive, par cette dernière, de la loi no 59/1993. Ils font valoir à cet égard que les droits irrévocablement acquis au cours d’une procédure judiciaire terminée au 5 octobre 1992 ont été affectés par un arrêt rendu le 5 novembre 1995.

22. Selon le Gouvernement, l’arrêt de la Cour suprême de Justice a été rendu en application de l’article 330 du Code de procédure civile, lequel permet d’annuler un jugement définitif lorsque les tribunaux inférieurs ont outrepassé leurs attributions spécifiques au pouvoir judiciaire. Le Gouvernement estime que les requérants n’ont nullement été empêchés par la Cour suprême de justice de s’adresser à un tribunal pour faire trancher leur contestation, mais ont été dirigés vers une autre voie de recours. Le Gouvernement fait valoir que la loi n112/1995, entrée en vigueur le 29 janvier 1996 est destinée précisément à réparer les abus commis par l’ancien régime communiste. 

23.  La Cour doit donc rechercher si l’arrêt du 9 novembre 1995 a enfreint l’article 6 § 1 de la Convention.

24.  La Cour rappelle que dans l’affaire Brumărescu précitée (§§ 61-62), elle avait conclu à la violation de l’article 6 § 1 au motif que l’annulation d’un arrêt définitif était contraire au principe de la sécurité juridique. Elle avait également conclu que le refus de la Cour suprême de Justice de reconnaître aux tribunaux la compétence pour examiner des litiges comme dans la présente affaire, portant sur une revendication immobilière, enfreignait l’article 6 § 1 de la Convention.

25.  La Cour estime que rien en l’espèce ne permet de distinguer de ce point de vue la présente affaire de l’affaire Brumărescu.

Dès lors, la Cour estime qu’en appliquant de la sorte les dispositions de l’article 330 du Code de procédure civile régissant le recours en annulation, ainsi qu’il était rédigé à l’époque des faits, la Cour suprême de Justice a méconnu par sa décision du 9 novembre 1995 le principe de la sécurité des rapports juridiques et, par là, le droit des requérants à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

26.  De surcroît, l’exclusion par la Cour suprême de Justice de l’action en revendication des requérants de la compétence des tribunaux est en soi contraire au droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

27.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 sur ces deux points.

28.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher sur le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention portant sur l’application prétendument rétroactive par la Cour suprême de Justice de la loi no 59/1993.

B.  Sur la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

29.  Les requérants se plaignent que l’arrêt du 9 novembre 1995 de la Cour suprême de Justice a eu pour effet de porter atteinte à leur droit au respect de leurs biens, tel que reconnu à l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

30.  Les requérants estiment que l’arrêt de la Cour suprême a eu pour effet de les priver de leur propriété abusivement. En premier lieu, cet arrêt n’a pas poursuivi un but d’utilité publique, car les tribunaux inférieurs n’avaient pas empiété sur le domaine législatif, mais avaient simplement tranché un litige civil en revendication. En outre, les requérants font valoir que l’affirmation du Gouvernement selon laquelle l’arrêt de la Cour suprême poursuivait un but d’utilité public est contraire à la réalité car, en 1998, le procureur général de la République a retiré tous les recours en annulation formés auparavant dans des affaires semblables. Enfin, les requérants estiment qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1, car ils se sont vu priver de leur propriété sans qu’une indemnité leur soit accordée.

De plus, en application de la loi no 112 du 23 novembre 1995, l’Etat a vendu à des tiers quelques appartements faisant partie de leur immeuble.

31.  Le Gouvernement admet que, dans la présente affaire, il y a eu atteinte au droit de propriété des requérants. Il estime que ladite atteinte doit être examinée à la lumière de la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1. Selon le Gouvernement, l’arrêt de la Cour suprême de justice poursuivait un but d’utilité publique, à savoir le respect des règles de procédure destinées à assurer la séparation des pouvoirs dans l’Etat, en l’occurrence judiciaire et législatif. Quant à la proportionnalité de l’ingérence, le Gouvernement estime que l’arrêt de la Cour suprême de justice constituait le seul moyen pour atteindre l’objectif susmentionné. Invoquant l’affaire Pine Valley Developments Ltd. et autres c. Irlande (arrêt du 29 novembre 1991, série A no 222), le Gouvernement estime que le requérants ne sauraient exiger une mesure de redressement quelconque en leur faveur.

32.  La Cour rappelle que le droit de propriété des requérants sur le bien en litige avait été établi par un jugement définitif du 5 août 1992 et relève que le droit ainsi reconnu n’était pas révocable. Les requérants avaient donc un bien, au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (voir l’arrêt Brumărescu, § 70).

33.  La Cour relève ensuite que l’arrêt du 9 novembre 1995 de la Cour suprême de Justice a annulé le jugement définitif du 5 août 1992 et a jugé que le propriétaire légitime du bien était l’Etat. Elle considère que cette situation est sinon identique, du moins analogue à celle du requérant dans l’affaire Brumărescu précitée. La Cour estime donc que l’arrêt de la Cour suprême a eu pour effet de priver les requérants de leur bien, au sens de la seconde phrase du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 (voir l’arrêt Brumărescu, §§ 73-74). Or, aucune justification n’a été fournie par le Gouvernement à la situation ainsi créée.

En outre, la Cour relève que les requérants, qui se trouvent actuellement toujours privés de la propriété de leur bien, n’ont pas perçu d’indemnité reflétant la valeur réelle de celui-ci, les efforts déployés par eux pour en recouvrer la propriété étant à ce jour demeurés vains.

34.  Dans ces conditions, à supposer même que l’on puisse démontrer que la privation de propriété ait servi une cause d’intérêt public, la Cour estime que le juste équilibre a été rompu et que les requérants ont supporté et continuent de supporter une charge spéciale et exorbitante.

35.  Partant, il y a eu et il continue d’y avoir violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

C.  Sur l’application de l’article 41 de la Convention

36.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1.  Dommage matériel

37.  A titre principal, les requérants sollicitent la restitution du bien litigieux. Ils entendent recevoir, en cas de non-restitution, une somme correspondant à la valeur actuelle de leur bien, à savoir, selon le rapport d’expertise soumis par eux à la Cour, 483 774 dollars américains (USD), soit 510 073,85 euros (EUR). Ils demandent aussi une indemnisation de 150 000 USD, soit 158 154,59 EUR, pour la valeur des loyers qu’ils auraient pu recevoir depuis la nationalisation de leur immeuble.

38.  Le Gouvernement soutient en premier lieu que l’octroi d’une somme au titre du dommage matériel serait injuste, puisque les requérants peuvent toujours revendiquer avec succès leur maison devant les juridictions internes. En tous les cas, le Gouvernement estime que le montant maximum qui pourrait être octroyé est de 146 357 USD, soit 154 313,54 EUR, représentant, selon l’opinion d’un expert qu’il a porté à la connaissance de la Cour, la valeur marchande de la maison en litige moins la valeur du dernier étage, qui, selon le Gouvernement, a été construit par l’Etat.

39.  La Cour estime, dans les circonstances de l’espèce, que la restitution du bien litigieux, telle qu’ordonnée par le jugement définitif du tribunal de première instance de Braşov du 5 août 1992, placerait les requérants autant que possible dans une situation équivalant à celle où ils se trouveraient, si les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues.

40.  A défaut pour l’Etat défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour ou le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu’il devra verser aux requérants, pour dommage matériel, la valeur actuelle du bien.

41.  Quant à la détermination du montant de cette indemnité, la Cour relève l’important écart qui sépare les méthodes de calcul employées à cette fin par les experts désignés par les parties au litige.

42.  Compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier à Braşov, la Cour estime que la valeur vénale actuelle de la maison et du terrain y afférent s’élève à 200 000 EUR. La Cour relève en outre que, par le jugement définitif du 5 août 1992, les requérants se sont vu restituer l’ensemble du bien, y compris le dernier étage. Pour ce motif, elle estime que le montant des indemnités que le Gouvernement devrait payer aux requérants s’élèverait ainsi à 200 000 EUR, à savoir la valeur totale de l’immeuble.

2.  Dommage moral

43.  Les requérants sollicitent aussi 100 000 USD, soit 105 436,39 EUR, pour le préjudice moral subi du fait de la souffrance que leur aurait infligée la Cour suprême de Justice le 9 novembre 1995, en les privant de leur bien une deuxième fois, après qu’ils eurent réussi en 1992 à mettre un terme à la violation de leur droit par les autorités communistes pendant quarante ans.

44.  Le Gouvernement s’élève contre cette prétention, en estimant qu’aucun préjudice moral n’a pas été prouvé et, donc, il ne saurait être retenu. Il fait valoir aussi que, lorsque la Cour constate une violation de la Convention, cette constatation peut constituer, par elle-même, une réparation satisfaisante.

45.  La Cour considère que les événements en cause ont entraîné des ingérences graves dans les droits des requérants au respect de leur bien, à un tribunal et à un procès équitable, pour lesquelles la somme de 17 000 EUR représenterait une réparation équitable du préjudice moral subi.

3.  Frais et dépens

46.  Les requérants sollicitent le remboursement de 5 000 USD, soit 5 271,82 EUR, pour les frais des procédures internes liées à leurs efforts de se voir réintégrer dans leur droit de propriété, y compris les honoraires d’avocat, les déplacements et la correspondance.

47.  Le Gouvernement considère cette somme comme exagérée.

48.  La Cour constate que seule une partie des frais et dépens réclamés ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable. Dans ces conditions, elle juge approprié d’allouer aux requérants 2 500 EUR.

4.  Intérêts moratoires

49.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR , À L’UNANIMITÉ,

1.  Rejette les exceptions préliminaires du Gouvernement ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’absence d’un procès équitable ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du refus du droit d’accès à un tribunal ;

4.  Dit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’application prétendument rétroactive, par la Cour suprême de Justice, de la loi no 59/1993 ;

5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

6.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit restituer aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la maison litigieuse et le terrain sur lequel elle est sise ;

b)  qu’à défaut d’une telle restitution, l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les mêmes trois mois, 200 000 EUR (deux cent mille euros), pour dommage matériel ;

c)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans le même délai de trois mois, 17 000 EUR (dix-sept mille euros) pour dommage moral ;

d)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans le même délai de trois mois, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), pour les frais et dépens ;

e)  que les sommes indiqués sous (b), (c) et (d) seront à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement ;

f)  que les montants indiqués ci-dessus seront à majorer d’un intérêt simple à un taux annuel équivalant au taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne augmenté de trois points de pourcentage à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

7.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 décembre 2002 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président